Découvrir les impacts des placements d’office


Comment la recherche éclaire une pratique judiciaire sous-examinée

Date de publication : 2024-10-08 13:30:00

Salle d’audience

Salle d’audience

Photo : edb3_16


Dans les salles d’audience de tout le Canada, les personnes qui semblent éprouver des problèmes de santé mentale peuvent être placées d’office dans un établissement psychiatrique. Bien que l’objectif du placement d’office soit de protéger la sécurité de l’individu et du public, les personnes placées d’office vivant dans la pauvreté ou sans domicile fixe sont surreprésentées. En outre, nombre d’entre elles déclarent subir des difficultés supplémentaires, à la fois pendant et après l’hospitalisation. Par exemple, elles peuvent se retrouver dans une situation financière plus difficile après l’hospitalisation parce qu’elles ont perdu leur emploi. De plus, sans nouveaux outils et sans soutien après leur séjour, beaucoup finissent par retourner à l’hôpital.

Afin de mettre en lumière les problèmes de ce type, y compris ceux propres aux communautés autochtones, Emmanuelle Bernheim, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé mentale et accès à la justice, étudie les résultats des placements d’office et la manière dont cette pratique remet en cause les droits individuels.

« Les placements d’office peuvent être fondés sur la compassion, mais cela n’enlève rien à la coercition qui en fait partie. Dans de nombreux cas, elle enfonce les gens dans la pauvreté », déclare Mme Bernheim.

Des lacunes dans le discours juridique

Son intérêt pour les placements d’office est né dans un cours de première année de droit. Lorsque le sujet a été abordé, elle a été surprise par l’absence de discussion sur la façon dont cette pratique porte atteinte aux droits individuels. Elle ressentait qu’il était normal de ne pas tenir compte des droits des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Elle ajoute qu’aucun juriste de l’époque ne semblait s’intéresser aux implications de ce processus juridique sur les droits de la personne. Elle a donc commencé à mener des recherches sur la question.

Plus tard, en 2020, Joyce Echaquan, une Atikamekw de 37 ans, est décédée d’une mort évitable lors d’un séjour dans un hôpital québécois. Son décès a suscité des discussions sur le racisme et la discrimination systémique auxquels sont confrontés les peuples autochtones dans les soins de santé et les services sociaux, y compris le recours excessif aux placements d’office.

Reconnaissant l’expertise de Mme Bernheim sur les placements d’office, un journaliste couvrant le cas de Joyce Echaquan l’a contactée pour obtenir plus d’informations. C’est ainsi que Mme Bernheim s’est engagée sur une nouvelle voie. Avec sa collègue Eva Ottawa, elle a utilisé une subvention du CRSH pour effectuer une recherche sur les placements d’office dans la communauté atikamekw à Manawan, au Québec, située à environ 270 kilomètres au nord de Montréal où Joyce Echaquan avait vécu.

Étudier les placements d’office à Manawan

Femme marchant sur une route rurale

Femme marchant sur une route rurale

Photo : santividal


Les Autochtones qui sont placés d’office dans un établissement psychiatrique sont souvent envoyés dans des hôpitaux situés à des heures de route de leur communauté d’origine. À l’hôpital, elles et ils sont surveillés par un personnel qui ne parle pas leur langue et qui travaille dans un système de santé qui ne reconnaît pas la valeur du savoir autochtone traditionnel.

Le système traite également la guérison des maladies mentales comme une responsabilité individuelle, plutôt que comme le considèrent de nombreuses communautés autochtones, comme une responsabilité communautaire.

« Il s’agit de deux mondes différents. Pourtant, les Autochtones reçoivent dans les hôpitaux le même traitement que tout le monde », explique Mme Bernheim.

Pour mieux comprendre les problèmes particuliers auxquels sont confrontés les Autochtones dans le cadre des soins de santé mentale, Mme Bernheim et son équipe ont mené des dizaines d’entretiens dans la communauté atikamekw. Elles et ils se sont entretenus avec des personnes qui avaient été placées d’office, avec des policières et policiers et des infirmières et infirmiers de la communauté, ainsi qu’avec du personnel médical et des travailleuses et travailleurs sociaux de l’hôpital où sont admis les patientes et patients de la communauté souffrant de troubles mentaux.

Évaluer l’impact des mesures de sécurité culturelle

Les entretiens ont révélé des problèmes liés aux mesures mises en place par le gouvernement du Québec après le décès de Joyce Echaquan. Ces mesures comprenaient la désignation d’« agentes et agents de sécurité culturelle », des Autochtones auxquels le personnel médical peut faire appel pour aider à traiter d’autres personnes de la même communauté. Souvent, le consentement de la patiente ou du patient n’est pas obtenu avant de faire appel à une agente ou un agent de sécurité culturelle, de sorte que la pratique elle-même porte atteinte à l’autonomie de la patiente ou du patient.

La deuxième mesure mise en place est la formation obligatoire à la sécurité culturelle, qui vise à sensibiliser le personnel médical à la culture et à l’histoire particulières des populations autochtones susceptibles de venir se faire soigner. Lors des entretiens, le personnel a déclaré ne pas savoir comment appliquer cette formation dans leur travail.

Dans le cadre de la deuxième phase de leur projet de recherche, Mme Bernheim et son équipe organisent des ateliers dans la communauté atikamekw. Ces ateliers aborderont des sujets tels que les différences entre la santé mentale et la santé du territoire, et la façon dont la langue façonne les conceptions de la santé mentale et du bien-être.

Aider les communautés autochtones à défendre leurs intérêts

Les ateliers contribueront également à l’élaboration d’un document basé sur la recherche, qui, espère Mme Bernheim, permettra aux membres de la communauté atikamekw de plaider en faveur de la reconnaissance de la valeur du savoir traditionnel autochtone et de l’autodétermination dans le domaine des soins de santé.

Bien que les lois québécoises relatives au placement d’office des patientes et patients souffrant de troubles mentaux et à l’application du savoir traditionnel autochtone dans le cadre des soins de santé diffèrent de celles des autres provinces et territoires du Canada, les communautés autochtones de tout le pays sont confrontées à des problèmes similaires en ce qui concerne les pratiques hospitalières fondées sur des idéologies occidentales. C’est pourquoi Mme Bernheim espère que le document qui en résultera soutiendra également la défense des intérêts des communautés autochtones dans l’ensemble du Canada.

En attendant, elle estime que les gouvernements ont beaucoup à faire pour améliorer le traitement des Autochtones dans les hôpitaux publics.

« Notre système de santé considère les problèmes de santé mentale comme un problème individuel. Tant que les facteurs systémiques à l’origine de ces problèmes ne seront pas reconnus et traités, les populations autochtones resteront bloquées dans ce cycle de traitements inefficaces », explique-t-elle.

Elle espère également que la recherche suscitera des discussions plus larges sur le pouvoir exceptionnel que le système juridique canadien exerce sur les placements d’office, et sur la menace que cette pratique fait peser sur les droits individuels.


Vous souhaitez en savoir plus?

Visitez le site Web d’Emmanuelle Bernheim pour en savoir plus sur ses recherches et ses publications. Son livre The Violence of Therapeutic Justice - An ethnographic Study sera publié en 2025.