Date de publication : 2024-09-16 14:00:00
Une personne dépose son bulletin de vote dans l’urne.
Photo : LightFieldStudios
Quand elle était jeune, Yasmin Dawood éprouvait une fascination pour le pouvoir et la politique. Cet intérêt prenait sa source dans l’histoire de membres de sa famille qui, pendant des générations, ont été forcés de quitter leur pays à cause de soulèvements politiques.
« Ma mère et sa famille étaient des personnes réfugiées, et j’ai grandi en écoutant ces histoires de bouleversements et de crises nationales », se souvient Mme Dawood, aujourd’hui une chercheuse mondialement réputée qui est professeure de droit à la Faculté de droit de l’University of Toronto (en anglais) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la démocratie, le constitutionnalisme et la législation électorale.
« Dans ma jeunesse, quand j’apprenais des choses à propos d’événements terribles comme l’Holocauste, je prenais conscience que la liberté était fragile. C’est ce qui m’a fait comprendre l’importance du droit, du pouvoir, des élections et de la démocratie. »
2024, année électorale
Experte de premier plan, au Canada comme à l’étranger, de la législation électorale, Mme Dawood soulève dans ses recherches des questions plus que nécessaires : comment tenir des élections libres et justes dans un contexte de transformations structurelles à grande échelle? Comment concevoir des lois qui protègent la tenue d’élections libres et justes? Que faire pour freiner l’érosion de la confiance dans les processus électoraux?
« Il n’y a pas de réponse simple. Nous entrons dans une nouvelle ère inquiétante faite de fausses nouvelles et d’ingérence étrangère », avertit Mme Dawood, citant en exemple les audiences sur l’ingérence étrangère au Canada et le malaise politique observé aux États-Unis à l’approche des élections de novembre. « Avant, dans des pays comme le Canada et les États-Unis, on tenait pour acquis que le processus électoral était somme toute équitable. Aujourd’hui, la question n’est pas tant de savoir si le processus est équitable, mais plutôt si l’électorat croit qu’il est équitable. Cette conjoncture est beaucoup plus périlleuse. »
Une affiche à un bureau de vote sur laquelle est écrit « Votez ici ».
Photo : Dora Doltan
Selon Mme Dawood, Élections Canada dispose de lois strictes pour contrer les interférences dans les processus électoraux de base, comme la désinformation entourant les lieux de scrutin ou les pièces d’identité requises pour pouvoir voter. Elle pense cependant qu’il faut travailler davantage pour améliorer la littératie médiatique, qui aide la population à évaluer la véracité de ce qu’on lit ou entend.
Elle prône aussi une réglementation des plateformes sur Internet qui assurera un juste équilibre entre la liberté d’expression et la lutte contre la désinformation.
« Partout dans le monde, les institutions démocratiques sont aux prises avec l’essor des médias sociaux, la mésinformation et la désinformation, l’érosion des institutions politiques, le creusement des inégalités économiques, le déclin démocratique, le populisme et la montée de l’autoritarisme. Tout cela entraîne des défis énormes sur le plan de l’équité électorale. »
Les recherches de Mme Dawood tombent à point nommé, car 2024 est une année historique, avec 70 pays – représentant près de la moitié de la population mondiale – qui tiennent des élections.
« C’est une année exceptionnelle qui pourrait avoir un impact profond à l’échelle mondiale, insiste-t-elle. Les élections sont souvent la porte d’entrée qu’empruntent les régimes autoritaires pour prendre le contrôle. Après avoir remporté le scrutin, ces régimes en profitent pour changer les règles constitutionnelles et se débarrasser du système d’équilibre des pouvoirs. Au bout du compte, il devient plus difficile pour l’opposition de les déloger. C’est le début du déclin démocratique. »
Des recherches qui influent sur les politiques et la population canadienne
Les recherches de Mme Dawood sont de nature interdisciplinaire et comparative, s’appuyant sur des exemples puisés au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Inde et en Afrique du Sud, entre autres pays. Son expertise en matière de réforme du financement électoral et de législation électorale a été sollicitée à plusieurs reprises aux États-Unis et en Australie.
Au Canada, les travaux de Mme Dawood influencent les politiques. En 2014, elle et quatre collègues du corps professoral ont tenu un débat national et participé à des contestations fondées sur la Charte concernant le projet de loi sur l’intégrité des élections, qui portait sur l’équité électorale et le droit de voter. En 2016, son témoignage devant le comité parlementaire spécial sur la réforme électorale et son article « The Process of Electoral Reform in Canada: Democratic and Constitutional Constraints » (en anglais) ont aidé à créer le cadre global entourant les processus à suivre pour le Canada dans une réforme électorale.
« Je trouve très important que ma recherche serve, autant que possible, à changer les choses sur le terrain et pour la population. Les rouages des lois électorales peuvent être compliqués et difficiles à comprendre, c’est pourquoi il faut des chercheurs et des chercheuses comme moi pour analyser ces enjeux et veiller à ce que notre régime démocratique reste solide et transparent. »
Une vision de la démocratie
Madame Dawood s’affaire à consolider les constats issus de ses travaux dans le cadre du programme de sa chaire de recherche du Canada. Elle admet qu’il n’y a pas de remède magique aux problèmes qui affectent les démocraties du monde, mais croit cependant que la meilleure solution pourrait reposer sur notre façon de voir les élections en général.
« Plutôt que de considérer les élections comme des événements ponctuels qui surviennent le jour du scrutin, nous devons concevoir la chose comme un grand écosystème électoral, suggère-t-elle. Selon cette approche écosystémique, le système démocratique consiste en un réseau d’institutions et d’acteurs interconnectés – les gouvernements, les partis politiques et leur base militante, les tribunaux, l’électorat, la population, les plateformes en ligne, etc. – bref, toute partie qui a le pouvoir d’influencer une élection. Si nous arrivons à dresser un portrait de l’écosystème et à mettre en place des lois en conséquence, il sera possible de garantir la légitimité des élections. »
En cette époque où la mésinformation et la désinformation brouillent le processus électoral, Mme Dawood espère que ses recherches apporteront la lumière dont la population canadienne et du reste du monde a besoin pour se doter de systèmes démocratiques forts et sains.
« La démocratie n’est pas parfaite, et les élections non plus. Mais c’est le meilleur outil dont nous disposons pour protéger notre liberté. »