Comment une chercheuse canadienne mène le combat pour mettre fin à la crise de la violence fondée sur le genre au Canada
Date de publication : 2024-12-06 10:00:00
Le Canada peut mettre fin à l’épidémie de violence fondée sur le genre si les gens apprennent à en reconnaître les signes, affirme la psychologue clinicienne Katreena Scott.
Photo : Fat Camera
Le 6 décembre 1989 demeure l’un des jours les plus sombres de l’histoire du Canada. Armé d’un fusil de chasse semi-automatique, un homme entre à Polytechnique Montréal, tire sur 27 personnes et tue 14 jeunes femmes avant de s’enlever la vie. Dans sa lettre de suicide, il explique avoir voulu tuer des femmes.
Le 6 décembre est désormais la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes.
Le massacre de Montréal a été, pendant de nombreuses années, le plus grand féminicide de masse de notre pays. La situation a changé en 2020, lorsqu’un homme a tué 22 personnes en Nouvelle-Écosse, dont l’une était enceinte. La commission d’enquête mise sur pied a souligné le rôle de la violence fondée sur le genre dans cette tragédie et a demandé au gouvernement du Canada de déclarer que la violence fondée sur le genre était une épidémie. Malgré cette déclaration et des années de tragédies insensées, les taux de féminicides au Canada sont plus élevés que jamais, avec une femme ou une fille tuée par la violence toutes les 48 heures.
Un appel à l’action
« Nous allons dans la mauvaise direction et j’en ai assez. Trop c’est trop », déclare Katreena Scott, psychologue clinicienne, professeure et directrice des affaires universitaires du Centre for Research and Education on Violence Against Women and Children (CREVAWC) (en anglais) à la Western University (en anglais) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’élimination des mauvais traitements infligés aux enfants et de la violence familiale. Membre du Comité d’examen des décès dus à la violence familiale du Bureau du coroner en chef de l’Ontario, Mme Scott examine les décès dus à la violence d’un partenaire intime et recommande des changements systémiques pour éviter la répétition de ces mêmes types d’incidents.
Elle constate que de nombreuses recommandations sont constamment ignorées. Cela la frustre.
« Nous savons que ces décès ne sont pas le fruit du hasard. Dans 70 p. 100 des cas, il existe au moins sept facteurs de risque bien connus pour les homicides familiaux. Malgré tous les rapports qui soulignent ce qu’il faut faire, nous sommes obligés de repartir à zéro. C’est comme si nous étions en train de répéter les mêmes choses », explique-t-elle.
Le fait que la société considère la violence familiale comme un problème privé entrave l’action collective qui est nécessaire pour créer un changement significatif.
Les recherches de Katreena Scott réitèrent l’importance, pour briser le cycle de la violence fondée sur le genre, de constater et de nommer les signes de cette violence et d’y répondre.
Photo : Fat Camera
« Constater, nommer, vérifier »
Mme Scott compare la sensibilisation à la violence familiale à la santé cardiovasculaire, affirmant que la plupart des gens reconnaissent les signes d’une crise cardiaque et savent comment réagir. En revanche, dit-elle, les gens ne connaissent toujours pas les facteurs de risque de la violence familiale, les étapes à suivre ou l’aide disponible.
« Si quelqu’un dit qu’il a le souffle court, on l’interroge et on lui donne des conseils. Nous pensons toujours que la violence familiale est un problème privé. Nous devrions plutôt ouvrir la porte à une conversation », explique-t-elle.
Offert gratuitement par le CREVAWC, le cadre « See it, Name it, Check it » (en anglais, PDF, 318 Ko) de Neighbours, Friends and Families (en anglais) enseigne aux gens à reconnaître les signes de relations malsaines, à exprimer leurs inquiétudes et à assurer la sécurité. Pourtant, Mme Scott croit que les professionnelles et professionnels – forces de l’ordre, personnel soignant, prestataires de services de santé mentale et de toxicomanie, spécialistes des ressources humaines et autres – n’ont toujours pas la formation nécessaire pour reconnaître les facteurs de risque de la violence familiale et y réagir, notamment la suicidalité, qui est l’un des dix principaux facteurs de risque d’homicide conjugal. Il s’agit d’un manque de connaissances qu’elle considère comme critique.
Une force de changement
Les recherches de Mme Scott ainsi que le travail de ses collègues et collaboratrices et collaborateurs du CREVAWC ont mené à des changements de politiques majeurs au Canada. Leur plaidoyer a entraîné des modifications à la Loi sur le divorce, exigeant des tribunaux qu’ils prennent en compte l’exposition d’un enfant à la violence familiale au moment de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant. Le CREVAWC a également été à l’origine de changements législatifs (en anglais) dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario, rendant obligatoire l’intervention de l’employeuse ou de l’employeur dans les cas de violence familiale.
Les projets d’application des connaissances du CREVAWC contribuent à faire en sorte que ces changements soient mis en pratique.
« Une partie de la solution réside dans l’amélioration des compétences du personnel et de leur capacité à intervenir pour prévenir la violence familiale et son escalade », ajoute-t-elle.
Mme Scott travaille également à l’élaboration et à l’évaluation de nouvelles approches en matière de prévention et d’intervention contre la violence fondée sur le genre. En 2002, elle a fondé Caring Dads (en anglais), un programme visant à aider les pères violents à modifier leurs comportements néfastes. Bien que ce programme ait été reconnu et adopté à l’échelle internationale, son expansion au Canada est entravée par un financement fluctuant – un autre exemple de la fragmentation des réponses à la violence entre partenaires intimes.
Mme Scott a également mené des recherches sur le travail novateur de la Western University pour prévenir la violence sexuelle (en anglais). Dans ses recherches, elle rassemble systématiquement les compétences des universitaires, des praticiennes et praticiens et des survivantes dans tous les domaines.
« La violence familiale n’est pas seulement une question de justice ou de santé, elle touche tous les secteurs de la société. Nous avons besoin de réponses coordonnées et d’investissements dans des interventions fondées sur des données probantes et adaptées aux différents niveaux de risque », déclare Mme Scott.
De la tragédie à l’action
Fille d’un agent de protection de l’enfance et elle-même psychologue clinicienne pour enfants, Mme Scott s’est engagée à assurer la sécurité des enfants en s’attaquant à la violence au sein des familles.
Le 6 décembre, elle souhaite que nous marquions le progrès et non l’urgence.
« Ce n’est pas un problème désespéré. Nous disposons des outils nécessaires pour mettre fin à la violence familiale. La question est de savoir pourquoi nous n’avons rien fait », dit-elle.
Elle croit que les provinces et les divers paliers de gouvernements pourraient agir dès maintenant en s’unissant pour créer un centre de connaissances et un ensemble de programmes éprouvés pour s’attaquer à la violence et aux risques à différents stades d’une relation.
En faisant le lien entre la recherche, la défense des droits et les politiques, Mme Scott s’efforce de créer un héritage où chaque femme, chaque enfant et chaque famille peut vivre sans violence. Son message est clair : il est temps d’agir.
Vous voulez en savoir plus?
Consultez le projet Impact (en anglais) de Katreena Scott sur la manière de cerner et de contrer la violence fondée sur le genre.
Vous pouvez également en savoir plus sur les projets de recherche du CREVAWC (en anglais).