L’approche du double regard : entrelacer science occidentale et modes de connaissance autochtones


Comment le Wildlife, Indigenous Science, Ecology Lab établit des partenariats pour préserver la biodiversité et les cultures autochtones

Date de publication : 2022-06-20 10:00:00 PM

Loup dans le centre-nord de l’Ontario

Photo : Jesse Popp, Wildlife, Indigenous Science, Ecology Lab

Il n’est pas facile de repérer une meute de loups de l’Est et d’installer des colliers émetteurs sur chacun d’eux pour suivre les déplacements du groupe dans la nature ontarienne. Or, lorsqu’une équipe de recherche a survolé Pointe Grondine en hélicoptère, elle savait exactement où aller, grâce aux indications de gardiens du savoir du territoire non cédé de Wiikwemkoong.

Jesse Popp, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en science environnementale autochtone de l’University of Guelph, coordonne cet entrelacement de la science occidentale et des modes de connaissance autochtones au Wildlife, Indigenous Science, Ecology (WISE) Lab financé par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie. Elle croit que l’« approche du double regard » peut permettre d’approfondir les causes et les répercussions des fluctuations de la faune, qui ont une incidence aussi bien sur les écosystèmes que sur les manières de vivre des peuples autochtones du Canada.

Les modifications sans précédent de l’environnement ont entraîné le déclin de la faune partout sur la planète. Pour favoriser la préservation de la biodiversité et des cultures autochtones, il est crucial, selon Jesse Popp, d’avoir recours à la recherche multidisciplinaire qui englobe de nombreux modes de connaissance.

Il est temps que la vieille garde cède la place

Jesse Popp, qui vient d’une communauté du territoire non cédé de Wiikwemkoong, s’intéresse à l’écologie de la faune depuis son tout jeune âge, alors que sa mère l’emmenait en forêt et lui parlait de la Terre. Elle a grandi et a par la suite constaté que le monde universitaire manquait de diversité. Au cours de ses études de premier cycle, elle a assisté à une conférence qualifiée de « réseau d’anciens condisciples masculins » par la personne qui la supervisait. Elle a su alors qu’elle voulait contribuer à l’intégration des modes de connaissance autochtones dans le monde scientifique.

Jesse Popp, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en science environnementale autochtone

Photo : Jesse Popp, Wildlife, Indigenous Science, Ecology Lab

Pour ce faire, elle a établi le Wildlife, Indigenous Science, Ecology Lab en 2018. En partenariat avec des communautés autochtones, des organismes de conservation, des universités et des gouvernements, le laboratoire mène des projets de recherche de nature collaborative dirigés par les communautés sur d’importantes questions écologiques et environnementales, entre autres, sur le suivi d’espèces à risque. Ce laboratoire interdisciplinaire réunit des spécialistes de différentes disciplines, dont l’écologie, les sciences de l’environnement, l’ethnobiologie, la gestion de la faune et la justice environnementale autochtone.

Le don de la connaissance

Le projet visant à doter les loups de colliers émetteurs témoigne de la réussite de l’approche du laboratoire. Les fonctionnaires du ministère des Richesses naturelles et des Forêts et les représentants du territoire non cédé de Wiikwemkoong ont voulu en savoir plus sur l’écologie spatiale et la composition de la meute de loups de l’Est sur le territoire. Mais il fallait d’abord trouver les loups. Jesse Popp et ses collègues ont parlé avec des personnes de la communauté de Wiikwemkoong pour savoir où les loups avaient été vus d’une manière générale. Un Aîné est ensuite monté à bord de l’hélicoptère pour guider l’équipage. Très vite, les loups ont été repérés. Les indications de l’Aîné ont permis à la province d’épargner temps et argent par rapport aux méthodes utilisées habituellement pour attraper les loups et leur poser un collier.

C’était tellement formidable, estime Jesse Popp, que cette connaissance soit donnée à l’équipe, qui a pu l’appliquer à son travail. L’équipe suit maintenant de près les loups pour mieux comprendre les modifications qui se produisent dans leurs déplacements et leur comportement.

Parmi les autres projets du laboratoire, mentionnons l’utilisation d’un téléphone intelligent pour suivre les populations d’orignaux et l’examen de l’incidence du chemin de fer sur les populations de tortues. S’il est important d’étudier ces animaux d’un point de vue écologique, ce l’est aussi parce que, pour les peuples autochtones, les animaux font partie de la famille et méritent le respect et la réciprocité. Dans bien des cas, les « découvertes » qui sont faites n’en sont pas vraiment pour les communautés autochtones avec lesquelles Jesse Popp travaille, elles sont simplement consignées pour la première fois par la science occidentale.

Du travail à l’échelle locale aux collaborations internationales

Dans tous ses projets, le laboratoire met l’accent sur les communautés avec lesquelles il travaille : il échange avec les gardiens du savoir pour décider des projets à mener et se sert des résultats obtenus pour déterminer les étapes suivantes dans le cadre d’un processus de collaboration de nature très cyclique. De plus en plus de Premières Nations en prennent connaissance et veulent jouer un rôle. Et, au niveau international, le laboratoire s’est joint récemment au projet Ărramăt, qui réunit des groupes de défense de l’environnement de 24 pays œuvrant à consolider la santé et le bien-être au moyen d’initiatives de conservation dirigées par des Autochtones.

De l’avis de Jesse Popp, ce qu’il y a de plus enthousiasmant dans ce travail, ce sont les partenariats qui sont créés. Ils sont importants pour la réconciliation, car ils permettent d’aller au-delà des consultations et de nouer des relations signifiantes pour s’attaquer collectivement aux problèmes environnementaux auxquels l’humanité tout entière fait face aujourd’hui.


Pour en savoir plus

Pour en savoir plus sur les travaux de Jesse Popp, on peut consulter le site Web du Wildlife, Indigenous Science, Ecology Lab et celui du projet Ărramăt (tous deux en anglais).