Optimiser les investissements en santé


Pour cette titulaire de chaire de recherche du Canada, un programme ontarien de soutien aux personnes diabétiques pourrait être la clé d’une nouvelle approche en matière de soins

Date de publication : 2023-11-14 10:00:00

Une infirmière effectuant un test de glycémie sur son patient âgé, lors d'une visite à domicile.

Photo : iStock.com/vitapix


Le diabète – qu’on appelle aussi « l’épidémie silencieuse » – touche près de 12 millions de personnes au Canada et coûte, à 50 millions de dollars par jour, une véritable fortune au système de santé.

« Le diabète est une maladie chronique impitoyable, et la situation ne fait qu’empirer », déplore Maria Mathews, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les soins de première ligne et l’équité en santé et professeure au Département de médecine familiale de la Schulich School of Medicine and Dentistry de la Western University.

Chez la plupart des personnes diabétiques, le corps est incapable de produire l’insuline – l’hormone qui régule le glucose (sucre) dans le sang –, tandis que chez d’autres, le corps n’arrive pas à utiliser l’insuline produite comme il se doit. Le diabète peut entraîner des complications graves, voire mortelles, comme une maladie du rein, la perte de la vue, une crise cardiaque et même l’amputation d’un membre. Des complications dont Mme Mathews a une connaissance très intime.

Un parcours personnel dans les soins de santé et la recherche

« Je viens d’une famille où presque tout le monde est atteint de diabète ou de prédiabète. Parmi les premiers souvenirs de mon enfance, que j’ai passée en Inde, je me vois aider à donner de l’insuline à ma grand-mère. Elle nous a quittés relativement jeune à cause de la maladie. Le diabète me touche donc de près. »

Formée en administration des soins de santé, Mme Mathews s’est intéressée plus largement au fonctionnement des systèmes de santé, à l’importance d’investir dans les soins de première ligne et à l’utilisation optimale de ces investissements pour produire les meilleurs résultats. Aujourd’hui, épaulée par une équipe interdisciplinaire composée de chercheures et chercheurs et d’étudiantes et étudiants de premier cycle et de cycles supérieurs, elle dirige une nouvelle étude qui lui permet de conjuguer son vif intérêt pour les politiques de soins de première ligne et sa volonté d’améliorer le sort des personnes diabétiques.

« Éviter les hospitalisations fait économiser beaucoup d’argent, explique-t-elle. Lorsque le Dr Stewart Harris, un médecin de famille de London spécialisé dans la prise en charge du diabète, m’a parlé du programme qu’il avait mis sur pied, il était évident qu’il me fallait étudier la chose de plus près. »

Approche globale : un modèle unique de soins aux personnes diabétiques

Ce programme, c’est le Primary Care Diabetes Support Program offert par l’organisme St. Joseph’s Health Care de London. Créé en 2007 par le Dr Harris, le programme prend la forme d’une clinique intégrée de soins où des médecins de famille, des infirmières et infirmiers, des infirmières praticiennes et infirmiers praticiens et des travailleuses et travailleurs sociaux aident des personnes diabétiques – la plupart ayant des besoins médicaux et sociaux complexes – à prendre en charge leur maladie.

« Les patientes et patients du programme sont potentiellement plus à risque de développer des complications majeures, comme la perte d’une jambe ou une maladie du rein. Certaines de ces personnes ont peu de revenus, ont de la difficulté à gérer leurs médicaments d’ordonnance ou doivent recourir aux banques alimentaires. Il peut s’agir de personnes nouvellement arrivées au pays qui ne connaissent pas le système de santé ou encore qui n’ont pas de médecin de famille. L’idée, au-delà de la prise en charge de leurs besoins médicaux, est de les aider à s’y retrouver dans les programmes d’aide du gouvernement. C’est une approche unique et globale des soins de santé. »

Tout est dans les chiffres : évaluer le coût et l’efficacité du programme

Maria Mathews rapporte que depuis le lancement du programme, le Dr Harris et son équipe ont observé des résultats cliniques positifs, qu’il s’agisse d’un meilleur contrôle de la glycémie ou de témoignages d’une amélioration de la qualité de vie, entre autres exemples. Mais elle et son équipe veulent regarder les choses de plus près, dans le cadre du programme de la chaire de recherche du Canada. Financée en partie par l’initiative Transitions dans les soins des Instituts de recherche en santé du Canada, l’étude intitulée The Primary Care Diabetes Support Program: Addressing Transitions in Care for Medically Complex, Unattached, and Socially Complex Patients with Diabetes permettra d’évaluer l’efficacité du programme du Dr Harris. Durant les quatre prochaines années, l’équipe de recherche rencontrera la patientèle diabétique du programme et analysera divers types de données la concernant (dossier clinique, hospitalier et pharmaceutique, effectifs médicaux, facturation). La chercheure comparera ensuite ces informations avec des données provinciales pour établir si les patientes et patients du programme ont effectivement évité davantage les hospitalisations et enregistré un meilleur bilan comparativement aux autres personnes diabétiques qui reçoivent les soins habituels en Ontario.

« La dernière étape consiste à traduire ces données sur le plan des coûts. En comparant les dépenses associées à ce modèle aux coûts des hospitalisations, nous pourrons déterminer s’il y a réellement des économies. Si notre recherche montre que des cliniques comme celle de London arrivent à éviter des visites à l’hôpital et des décès prématurés, nous pourrons faire la preuve qu’il s’agit là d’un nouveau modèle de soins, à appliquer non seulement en Ontario, mais à la grandeur du pays. »

Au-delà du diabète : un modèle pour la prise en charge des maladies chroniques

Selon Mme Mathews, si la recherche montre que le programme est économique, celui-ci pourrait servir de modèle de soins pour d’autres maladies chroniques.

« Les décisionnaires, les personnes élues ainsi que les prestataires de soins connaissent la valeur de l’argent, des investissements et des économies, soutient Mme Mathews. Si l’on arrive à faire une évaluation économique et à montrer qu’il s’agit d’une utilisation judicieuse du budget de la santé, ce sera la démonstration que ce modèle clinique reposant sur les soins en équipe peut être transposé à d’autres maladies chroniques, comme la maladie pulmonaire obstructive chronique ou l’insuffisance cardiaque congestive. Ce pourrait être un bon investissement pour le Canada. »

Investir dans la recherche, c’est investir dans la population canadienne

Le projet devrait se terminer en 2027, mais l’équipe prévoit publier des résultats préliminaires dès 2024. Selon Mme Mathews, il est important de mener des études de ce genre pour s’assurer que la population canadienne puisse profiter de manière optimale des innovations cliniques.

« Nous mettons beaucoup d’argent dans les soins de santé, mais la gestion est déficiente. C’est pourquoi il est crucial d’investir dans ce genre de recherche, affirme Mme Mathews. En veillant au bon fonctionnement des soins de première ligne, on réduit le nombre de chirurgies et d’hospitalisations et maximise ainsi le rendement des sommes investies. »

Pour en savoir plus

Découvrez les projets de recherche de Maria Mathews ainsi que le Primary Care Diabetes Support Program offert à London, en Ontario.